Histoire Vraie
Comment une expédition de chasse à l'orignal sans panache et sans même un seul coup de feu, peut-elle être si intéressante qu'elle vous laisse l'impression que ça été le voyage de chasse le plus fascinant de votre vie? Et pourtant le début du voyage s'annonçait mal.
En effet, les vastes opérations forestières en cours dans le secteur ont forcé 6 groupes de chasseurs dont les "trails" avaient été démolies par les "Garretts" à devoir monter leurs campements les uns contre les autres au nord du Lac Murphy, ce qui n'était pas sans susciter quelques tensions. Heureusement, notre territoire est suffisamment à l'écart qu'il n'avait pas encore été vraiment affecté par le travail des bûcherons.
La méthode de chasse que nous utilisons depuis quelques années (et qui n'a PAS encore porté fruit!!!) consiste à couvrir un très grand marécage (la marsh!) à partir de 5 postes d'observation (miradors) pendant les 3 premiers jours de la saison. A compter du 4ième jour, soit le mardi, chaque chasseur du groupe peut à sa guise commencer son exploitation personnelle de ses coins préférés du territoire.
Voilà donc que mardi matin et fidèles à la tradition, Gilles et moi décidons d'aller explorer les alentours d'un petit lac au coin du sud du secteur. Rendus au lac, Gilles me dit : « J"aimerais bien aller explorer la montagne au nord ouest du lac, et t'en fais pas, je redescendrai à pied vers "la marsh" et tu me reprendras là ce soir ». Sitôt dit, sitôt fait! Le voilà parti et me voilà assis dans mon mirador . Après deux heures sous un beau soleil de début d'après-midi, j'ai beaucoup plus le goût de dormir que de guetter le barrage de castors et les grandes herbes qui se courbent et se recourbent gracieusement au vent qui souffle "dans la mauvaise direction!" Je décide donc d'aller "prospecter" l'autre bout du lac où il semble y avoir un beau petit ruisseau avec une bande assez large de grandes herbes de chaque côté . Je fais glisser le canot aussi silencieusement que possible, le seul bruit étant les herbes ici et là qui frottent les côtés du canot. Je ne puis m'empêcher d'admirer ce qui semble être le garde-manger idéal pour orignaux et de fait, il y a des sentiers battus par les sabots d'orignaux qui descendent de la montagne à ma droite et disparaissent dans le ruisseau. Soudainement, je perçois un bruit léger à ma gauche et en me retournant lentement et silencieusement, j'aperçois un ours noir à 40 pieds de moi. Je ne sais lequel de nous deux fut le plus surpris, mais je n'ai même pas eu le temps de tendre le bras pour prendre ma .308 qui pourtant était juste derrière moi dans la pointe du canot que l'ours était disparu dans les herbes et les branchages. Un peu revenu de ma surprise, mais l'adrénaline circulant encore à haute vitesse, je remerciai St-Hubert que l'ours ait pris la direction opposée, car eut-il décidé de venir vers le canot, je ne serais sans doute pas là pour vous raconter ça!!! De retour au camp le soir, j'ai convaincu Gilles que j'avais enfin trouvé le vrai "spot" où l'orignal descendait de la montagne pour venir se nourrir et j'ajoutai : « tu ne me croiras peut-être pas, mais je vais te montrer l'endroit où je me suis retrouvé face à face avec un ours ».
Le lendemain, nous voici dans le bateau flottant lentement sur le petit ruisseau et Gilles qui lance des petits "calls" susceptibles de vous amadouer le "buck" le plus "macho" de la Haute Gatineau. Soudainement, Gilles me fait signe de ralentir, (nous étions déjà au point mort!!!), il a sûrement vu ou entendu quelque chose pensais-je quand de nouveau il me fait signe d'avancer lentement de ralentir ..d'aller un peu vers la gauche ..!! Point n'est besoin de vous dire que je fais tout cela en même temps!!! Il se lève à demi dans le bateau, puis se lève complètement .. et le voilà qui pointe sa carabine .. lentement ..la baisse un peu comme s'il avait perdu sa cible de vue . La remet en joue, et ..j'attends, un peu tendu pour le coup de feu .. mais rien .. il baisse de nouveau sa .270 et me fait signe que le gibier est parti. Je trouve quelque peu curieux qu'un orignal puisse avoir disparu sans faire plus de bruit!!! Gilles me fait signe que ce n'était pas un orignal mais un immense ours noir .. croyez-le ou non, au même endroit où j'avais vu le mien la veille. Curieuse de coincidence n'est-ce-pas? Car même si l'on aime bien les ours, nous sommes tout de même à la chasse à l'orignal, et au diable les ours! Tout en murmurant, nous décidons d'accoster le bateau et d'attendre en faisant le guet. Faut bien dire que, rendus au 5ième jour de chasse on se contenterait peut-être bien d'un ours faute d'orignal!!! Après environ une heure d'attente et rien qui bouge, nous décidons de regagner le lac et notre mirador, car les eaux stagnantes et les grandes herbes qui nous entourent semblent contribuer à une odeur pas tellement plaisante. Sur l'heure du lunch, nous discutons de notre rencontre imprévue du matin et Gilles de conclure : « Ça fait deux fois que l'on voit l'ours au même endroit et cette odeur nauséabonde que nous avons remarquée est peut-être celle d'une charogne qui traîne là et qui attire l'ours ». Nous repartons donc en direction du lieu de notre rencontre matinale avec notre ours noir, et en y arrivant, Gilles se lève de nouveau dans le bateau mais regarde la scène d'une façon différente cette fois-ci. Le constat se fait rapidement et facilement, il y a là un orignal étendu mort à 35 pieds de nous dans les grandes herbes. Ça explique bien des choses comme la mauvaise odeur et la présence répétée de l'ours au même endroit. Nous descendons du bateau pour visionner la scène de plus près et pouvons établir que la grosse femelle orignal a, de fait, été "liquidée" par un ou des prédateurs. La peau des jarrets a été clairement déchirée par les crocs d'un animal sauvage quelconque. Nous trouvons la scène un peu triste, mais je suppose que c'est la loi de la faune, il faut que quelques-uns meurent pour assurer la survie des autres.
Nous voici de nouveau sur le lac discutant de notre dernière découverte venant à une autre conclusion que si la carcasse de l'orignal déjà à moitié dévorée est la diète de notre ours noir, il y reviendra sûrement en fin d'après-midi. Nous décidons donc de retourner sur la scène du crime, mais, cette fois nous laisserons le bateau à l'abri à l'entrée du ruisseau et nous irons lentement à pied nous poster du côté opposé du ruisseau face à l'endroit où est tombé l'orignal. Point n'est besoin de plus de 10 minutes et nous voici bien postés à environ 30 pieds l'un de l'autre et à peu près 40/45 pieds d'où se trouvent les restes de l'orignal. Nous sommes bien camouflés, l'arme au poing, derrière des sapinages, des aulnes, des grandes herbes, etc. personne ne peut nous voir, mais nous, nous voyons tout (du moins, nous le croyons!!!) Le spectacle est grandiose, le soleil de fin d'après-midi donne un éclat spécial à tout ce qui nous entoure. Comme fond de scène, il y a une très haute falaise de roc gris qui s'élève verticalement à environ 90 pieds du ruisseau. Ai-je vraiment besoin de vous décrire ce beau couloir à orignaux entre cette falaise et le ruisseau? Comment expliquer que nous n'ayions pas découvert un tel "spot" avant aujourd'hui???
Mais voilà que tout à coup l'on perçoit un bruit léger qui à mon oreille m'a d'abord semblé être "un petit beuglement". Il m'est venu immédiatement l'idée que c'était peut-être le veau qui pataugeait encore autour. Je regarde du côté de Gilles qui a entendu lui aussi, mais qui semble perplexe. Je lui fait signe de "caller" mais son air perplexe me fait croire qu'il a entendu autre chose. Mais nous n'en n'avons pas pour longtemps à nous questionner, car un deuxième petit "gémissement" se fait entendre, puis un troisième et tout à coup le concert éclate!!! Nous sommes en plein milieu d'une meute de loups qui nous voient sans aucun doute, et nous considèrent probablement une menace ou une intrusion dans leur "boîte à lunch". Le concert de hurlements prend rapidement une ampleur incroyable! Dans un crescendo quasi-indescriptible, le bruit de ces hurlements remplit complètement l'espace aérien autour de nous. Les sons se réverbèrent contre la falaise et semblent ainsi doubler d'intensité. Jamais de la vie je n'avais entendu une telle puissance de sons. C'était comme un concert sacré dans une grande cathédrale où les jeunes loups (sopranos) voulaient se faire remarquer en chantant tous plus fort les uns que les autres, puis il y avait les loups adolescents (altos) dont la voix commence à muer, sans oublier les loups adultes (ténors) qui s'égosillaient en voulant bien faire sentir leur côté macho et enfin les chefs de bandes (les basses) avec leurs voix graves, puissantes et profondes qui ne nous laissaient aucun doute sur leur autorité. Il n'y avait sûrement pas moins d'une vingtaine de loups. C'en était assez pour vous donner vraiment la chair de poule ..pas parce que nous avions peur . Nous n'avions pas encore eu le temps de réaliser que peut-être nous aurions dû avoir peur!!! Mais parce que c'était émouvant ce concert privé en pleine nature. Malheureusement, ça n'a pas durer assez longtemps à peine une vingtaine de secondes! Nous avons cependant eu droit à un rappel, car après les premières vingt secondes, il y a eu comme un court "pianissimo" suivi par une deuxième vague de hurlements plus courte cependant, mais de nouveau à pleines voix. Sans pouvoir se concerter, je suis sûr qu'à ce moment, Gilles et moi aurions aimé en entendre plus .. ou tout au moins voir ces loups, qui eux, nous avaient sûrement vus. Et puis, c'est curieux comme dans le silence qui suivit et qui nous paraissait d'autant plus impressionnant que les hurlements qui l'avaient précédés avaient été intenses, nous semblions tout à coup percevoir des bruits insolites à gauche, à droite, en avant et en arrière. Nous décidâmes de retraiter rapidement vers le bateau ; les mouches noires devenaient vraiment incommodantes!!! Il était 16 h 00 (4 h 00pm) mercredi le 12 octobre 1994. Et puis, nous avions vécu toute cette magnifique et bouleversante aventure sans un coup de feu, ni même une photo. Qu'à cela ne tienne me dis-je je reviendrai demain matin avec mon appareil photo et je pourrai tout au moins faire voir aux amis ce que les prédateurs peuvent faire à un orignal.
Dès 09 h 30 le lendemain, je me présente seul avec mon appareil photo (et ma .308 il va sans dire!) sur les lieux du crime, et quelle ne fut pas ma surprise de constater qu'il ne restait absolument rien, je dis bien ABSOLUMENT RIEN, pas un os, pas un lambeau de chair, pas même un petit morceau d'intestin .RIEN!!! de la carcasse d'orignal de 800 à 900 lbs qui gisait là hier après-midi à 16 h 00 Tout avait disparu en une demie journée, et le site était propre à en faire rougir tous ces chasseur qui trouvent toujours moyen de laisser des traces indélibiles de leur passage en forêt. J'ai donc dû me contenter d'une photo d'un petit coins de marécage complètement dénudé que je devrai exliquer en disant : « Ici gisait la dépouille d'un orignal qui, dans le cycle impitoyable de la continuité en régions sauvages, servit à assurer la survie de plusieurs corbeaux, de nombreux loups et au moins un ours, peut-être plus! Je me disais cependant, ils n'ont tout de même pas dû bouffer ça en quelques heures. Je fis donc appel à ce que je pu trouver de courage à l'intérieur de moi-même et pénétrai aux abords de la forêt (50 pieds!!) probablement à l"endroit même où les loups nous avaient gratifié de leurs hurlements hier après-midi, et .. je trébuchai presque sur ce qui restait de l'orignal . les os et la peau. Ce n'est sans doute pas la plus belle photo que j'aie prise dans ma vie, mais c'est tout de même celle qui confirmera la véracité de ce que je viens de raconter.
Cette aventure tout à fait inusitée nous a laissés avec beaucoup plus de questions que de réponses sur les moeurs de la faune que nous cotoyons constamment lors de nos expéditions de chasse. Par exemple : Est-ce que l'orignal a été "dirigé" par les prédateurs sur un terrain très marécageux où il devenait désavantagé et pouvait plus difficilement se défendre? Les prédateurs étaient-ils nombreux? Était-ce des loups ou des ours ou les deux ensemble? Est-ce normal qu'une meute de loups vous donne un concert de hurlements à 4 h 00 pm en plein soleil? Si nous avions persisté à imposer notre présence à ce moment-là, est-il possible que cette même meute de loups aurait pu nous attaquer?
Je ne suis pas sûr que nous tenions vraiment à obtenir des réponses à toutes nos questions. Il me semble que ça briserait peut-être le charme qui nous a envahi à ce moment-là de pouvoir être témoins privilégiés de ce cycle impitoyable de vie, de mort et de survie de cette faune qui nous attire avec une force presqu'inexplicable tous les ans et depuis si longtemps dans les parties quasi inaccessibles de nos belles forêts québécoises!
Le meilleur souhait que nous puissions exprimer, Gilles et moi, à tous les chasseurs qui liront ce récit de notre aventure en forêt, c'est que, comme nous, vous puissiez vous retrouver un jour au beau milieu d'une meute de loups et de pouvoir bénéficier d'un concert de hurlements pareil à celui que nous avons entendu et de pouvoir revenir pour le raconter ..sans avoir besoin d'exagérer.
Jacques Garneau
305, rue
Lévis
Hull
(Québec)
Gilles Lalonde
23, Des Roitelets
Val des Monts
(Québec)